Le body-piercing, terme anglo-saxon ne possédant aucun équivalent français signifie littéralement perçage (piercing) corporel (body).
B3. Intérêt et objectif de l’étude.
a. Le body piercing, une pratique potentiellement dangereuse.
Hépatite B comme hépatite C, virus HIV-1, sepsis, toxic shock syndrom, endocardite et tétanos sont autant de pathologies infectieuses lourdes rencontrées et décrites dans la littérature lorsqu’une recherche des complications suceptible d’advenir lors de la pratique du piercing est entreprise. Les affections précédemment citées ne sont qu’un extrait du large éventail d’infections aussi bien virales que bactériennes, certaines entraînant même la mise en jeu du pronostic vital, pouvant être contracté par l’adepte. Les pathologies non-infectieuses liées au piercing ne sauraient être ignorées, les plus communes répertoriées sont l’eczéma de contact, dû au bijou ou au produit de décontamination cutanée, la cicatrice chéloïde ou le botryomycome et les déchirures tissulaires par arrachement. Au regard de la nature de l’intervention, d’inspiration médicale pour le moins, on comprendra aisément que se faire percer signifie assumer le risque de se voir infecter par n’importe quel germe pathogène, qu’il s’agisse d’un virus, d’une bactérie ou encore d’un champignon, dans la mesure où l’intégrité de la barrière cutanée n’est plus respectée, laissant la circulation sanguine générale en proie à n’importe quel microorganisme. L’apparente propreté d’un local, l’emploi de gants chirurgicaux ou l’utilisation d’aiguilles à usage unique, s’ils sont autant indispensables que rassurants n’apportent pas pour autant la garantie de l’innocuité de l’opération. En effet, une contamination des différents instruments utilisés peut se produire sans que le client, dépourvu malheureusement dans la majorité des cas de culture médical, s’en aperçoive. Le perceur peut quant à lui, malgré une farouche volonté de bien faire, commettre une faute d’asepsie, aucun enseignement médical, bactériologique ou infectieux dispensé par un professionnel de santé qualifié n’ayant pu être suivi étant donné l’absence de tout diplôme ou formation exigé pour l’exercice de ce métier.
S’il est normal que le monde médical ainsi que les pouvoirs publiques s’inquiètent au sujet de ces établissements ayant pignon sur rue, il est tout aussi légitime de s’inquiéter du problème du piercing ” sauvage “. Ce terme de piercing sauvage regroupe le pourcentage non négligeable voir alarmant de piercings pratiqués lors de concerts, raves et autres manifestations où des individus peu scrupuleux proposent leurs services pour une somme modique, armés de pistolets inadaptés et indésinfectables. Les tarifs pratiqués, de l’ordre de cinquante francs (quatre cent francs en moyenne dans un salon ) ainsi que l’ambiance alcoolisée voir stupéfiante permettent à ces perceurs d’opérette de travailler à la chaîne sans la moindre préoccupation infectieuse, faisant de ces clients des victimes en puissance.
b. Vide juridique et body piercing.
La profession de perceur, puisqu’il s’agirait d’une profession à part entière aux vues des compétences et qualifications requises pour cet exercice, n’est pas reconnue comme telle par le registre du commerce qui la classe semblablement à n’importe quel commerçant. Les salons de piercing sont également considérés à l’heure actuelle d’un point de vue juridique et légal comme n’importe quel fond de commerce ayant pignon sur rue. Ils sont à ce titre régis par les même lois qu’un fleuriste ou qu’un marchand de chaussure, sans avoir toutefois les mêmes responsabilités et devoirs vis à vis de leurs clientèles. Il est en effet aisément compréhensible que les risques encourus par les adeptes de ces salons sont d’une toute autre nature que ceux encourus lors d’une opération marchande effectuée dans un commerce dit plus traditionnel. Pourtant, les seules barrières légales quant à l’exercice de cette profession résident dans quelques rares articles relatifs à la protection des personnes du code de la consommation et du code du commerce.
c. Objectifs de l’étude.
Le gain croissant de popularité du Body-piercing semble inquiéter à juste titre
les pouvoirs publiques qui commencent à appréhender les conséquences en termede santé publique d’une pratique potentiellement dangereuse par essence qui, s’il était nécessaire de la classer, serait d’ordre médical tant les similitudes avec ce domaine sont grandes. Ressemblances tant au niveau de l’anamnèse préopératoire indispensable, de l’opération en elle même et du suivi postopératoire, qu’au niveau du consentement supposé libre et éclairé du patient.
La quasi absence de cadre juridique se résumant à quelques articles de loi insuffisant empruntés au code du commerce et au code de la consommation, ajouté à l’inexistance de diplômes ou formations initiant à la pratique du piercing, seules garants légaux d’une supposée compétence, obligent une remise en question urgente des modalités de cette pratique. La place de la médecine et du médecin en particulier est sujet d’un débat imposant l’analyse des enjeux éthiques. S’il est évident que le médecin a un rôle à jouer en terme de Santé Publique, notamment un devoir d’aide auprès d’une population potentiellement victime, il reste à définir les limites précises de sa fonction. Une des questions légitimes soulevée est de savoir si le piercing doit être un acte purement médical effectué par un médecin compétent médicalement parlant mais ignorant tout de la culture et des us et coutumes de ce monde, au risque de voir s’étendre le piercing dit ” sauvage “, ou le cas échéant s’il doit continuer à être pratiqué par des perceurs, les modalités permettant de s’assurer de leurs compétences et la place du médecin dans ce cas restant à définir. A la vue des interrogations soulevées par ce sujet et des solutions proposées, il s’agit de garder en mémoire les deux principes éthiques fondamentaux que sont le principe d’autonomie et le principe de bienfaisance dans l’intérêt de tous les partis, les clients en premier lieu, les perceurs, les médecins et la Santé Publique en générale.
METHODE
1. Sélection de la population étudiée.
La population étudiée comprend en premier lieu les authentiques adeptes du piercing, à savoir les sujets ayant eu le nombril, les seins, les organes génitaux ou le visage perforé, mais comprend aussi les individus n’ayant eu que le lobe de l’oreille percé. Bien que la démarche psychologique de ces derniers soit pour une majeure partie d’entre eux différente des véritables percés et que la façon de procéder (au pistolet) le soit aussi, il est apparu indispensable de les inclure dans l’étude et ceci pour trois raisons.
La première et néanmoins majeure est que quelque soit le site de perforation, il s’agit de franchir la barrière cutanée et de laisser ouverte cette plaie nouvellement créée. La deuxième concerne l’emploi de pistolets. En effet, on peut constater qu’un même usage est fait de ces pistolets (reconnus comme indésinfectables par tous) par les bijoutiers, habituellement habilités à percer les oreilles, et par les perceurs ” sauvages ” pratiquant leur art à la chaîne lors de différents rassemblements populaires. La dernière des trois raisons porte sur le bijou en lui même et sur les hypersensibilités qu’il est suceptible de provoquer, le nez ou le nombril n’étant pas moins sujet à allergie que le lobe de l’oreille.
Si la littérature regorge de cas intéressant les complications engendrés par le perçage de l’oreille, les références bibliographiques au sujet du piercing sont moins courantes, le côté récent de ce phénomène associé à l’originalité des sites de perforation (rebutant souvent le patient à aller consulter, laissant ainsi son cas ignoré du monde médical) en étant responsable pour une grande part.
2. Méthode de recherche et publications.
La recherche des publications parus dans la littérature internationale au sujet des complications liés à la pratique du body piercing a été mené au travers de Medline, ” body piercing ” et ” ear piercing ” étant les termes utilisés comme mots-clefs. D’autres références furent trouvés à l’aide de journaux spécialisés, de quotidiens médicaux et d’internet (qui a permis entre autre d’accéder au ministère de la santé du Canada et au site de l’APP, l’Association of Professionnal Piercers. La consultation des différents codes de la loi française, notamment des codes de la consommation et du commerce a permis l’approche de l’aspect juridique et légal du piercing en France.
RESULTATS
nous le verrons au travers d’études statistiques n’a rien d’inoffensif et le second, le piercing à proprement parlé. Nous distinguerons de plus deux catégories au sujet du perçage de l’oreille, le lobe à proprement parlé et le pavillon de structure cartilagineuse, ceci pour des raisons histologiques et physiologiques, le cartilage avasculaire étant plus sujet à l’infection.
1. Etude épidémiologique et piercing auriculaire.
Le perçage de l’oreille, du lobe plus particulièrement est une pratique courante dans nos sociétés dont l’origine coïncide probablement avec les origines de l’homme. Elle est source d’innombrables complications infectieuses ou non répertoriées dans Medline.
a. Etudes statistiques.
Cortese et Dickey menèrent une étude sur 73 élèves infirmières ayant eu les oreilles percées. Elle permit de constater que 52% d’entre elles, 38 sujets exactement connurent une ou plusieurs complications locales à la suite du perçage. Ces complications comprennent l’allergie (eczéma de contact), l’inflammation c’est à dire œdème et érythème, l’hémorragie, l’écoulement non purulent, l’infection locale purulente, les formations kystiques et un traumatisme par arrachement.
Etude de Cortese et Dickey sur 73 patientes.
Une étude menée en 1975 par Biggar et Haughie révéla que sur 497 femmes, 138 d’entre elles soit 34% eurent des complications suite à un
perçage d’oreille
.
Etude de Biggar et Haughie sur 138 patientes.
La dernière étude de groupe répertoriée est à mettre à l’actif de Jay qui, sur une période de cinq mois, constata vingt cas de complications dû à cette pratique chez des enfants allant de six à quatorze ans. Douze enfants connurent une invagination de la boucle qui s’accompagna pour cinq d’entre eux d’une infection. Quatre contractèrent une infection au site de perforation et trois autres subirent un traumatisme par arrachement. Le dernier des vingt développa quant à lui une cicatrice chéloïde. Le traitement de certains imposa l’anesthésie générale ou encore l’administration d’antibiotique (notamment lors d’une infection à Streptocoque du groupe A -hémolytique).
b. Complications et infections du lobe de l’oreille.
Lymphadénopathie cervicale superficielle, argyrisme localisé, lymphoplasie, réaction sarcoïdosique et cicatrice hypertrophique sont quelques exemples de complications rencontrés dans la littérature. Cependant, certaines infections de par leur gravité (à l’issu fatale parfois) semblent beaucoup plus préoccupantes. Le cas d’un sepsis à Staphylocoque aureus fut décrit par Shulman chez un nouveau-né de cinq semaines et demie. George et White ont quant à eux décrit le cas d’une femme de 32 ans qui s’était repercée une oreille alors déja infectée, elle se présenta avec un sepsis accompagné d’une insuffisance rénale aiguë et d’une broncho-pneumonie. Une hémoculture révéla la présence de Streptocoque A -hémolytique. Lovejoy et Smith reportèrent le cas de trois enfants victimes d’infection à Staphylocoque aureus mettant en jeu le pronostic vital.
Un cas de tuberculose fut décrit par Morgan chez un enfant de 18 mois accompagné de fièvre et d’une tuméfaction cervicale, il présentait une lésion ulcérée croûteuse au niveau du lobe de l’oreille. Furent reportés également une glomérulonéphrite post streptococcique par Ahmed-Jushuf et un choc septique à Staphylocoque aureus producteur de toxine chez un enfant neutropénique de six ans par Mc Carthy, l’opération avait été faite à l’aide d’un pistolet. Enfin, plusieurs cas d’hépatite virale (B et C) furent détaillés (Van Sciver ; Johnson ; Castleman et McNelly), certaines ayant eu une issue mortelle.
c. Infections du pavillon de l’oreille.
Les piercings traversant le cartilage de l’oreille sont eux aussi sujets à infection, la nature avasculaire du cartilage favorisant le développement de l’infection, particulièrement lorsqu’un pistolet est utilisé pour la perforation. Ce fut le cas de deux patientes décrit par Staley, Anderson et Fitzgibbon. La première âgée de 14 ans développa un abcès, la culture révélant par la suite la présence de Pseudomonas aeruginosa et de Staphylocoque coagulase négative. La culture de la deuxième montra la présence de Pseudomonas aeruginosa uniquement. Dans les deux cas, une déformation du cartilage auriculaire subsistait à la suite de la guérison.
On peut constater que Pseudomonas est fréquemment impliqué lors de la perforation du cartilage auriculaire, ainsi Turkeltaub et Habal décrivirent le cas d’une femme de 22 ans qui après avoir contracté une chondrite aiguë à Pseudomonas aeruginosa eu la majeure partie du cartilage auriculaire supprimée suite à sa nécrose.
2. Les complications du piercing.
a. Complications non infectieuses
Les complications non infectieuses du piercing à proprement parlé proviennent majoritairement de la nature même du bijou, de par sa morphologie et topographie.
Jones et Flyn reportèrent le cas d’un paraphimosis chez un homme de 24 ans arborant un prince Albert, l’issue en fut favorable à la suite de la résorption de l’œdème. Higgins reporta le cas d’un autre prince Albert sujet à complication, une rupture urétrale du côté ventral de la verge qui guérit sans l’aide d’une intervention chirurgicale
Prince Albert et Paraphimosis.
Les piercing linguaux sont sources eux aussi de nombreux effets indésirables, Reichle et Dailey relatèrent la possibilité d’obstruction des voies aériennes supérieures consécutive à l’œdème réactionnel provoquer par la perforation de la langue. Le bijou lingual est lui aussi cause de complications telles qu’une gêne à la mastication et à l’élocution ou encore des fêlures ou de fractures dentaires. Le risque d’ingestion ou d’inhalation est également présent (18).
Les autres incidents recensés sont le traumatisme par arrachement suceptible d’advenir quelque soit la localisation du bijou, la cicatrice chéloïde ou hypertrophique, l’invagination du bijou et l’allergie aux différents métaux que sont l’or, le nickel ou l’argent (16). La dernière complication non infectieuse recensée est radiologique, Healey décrit le cas d’un patient porteur d’un anneau au sein responsable d’artefacts à la radio, faute d’avoir pu le retirer.
b. Complications infectieuses.
Les cas reportés d’infection suite au perçage corporel, oreille exclues sont au nombre de six. La possible transmission du virus HIV type 1 a été décrite par Pugatch, Mileno et Rich, le patient ayant présenté une séroconversion à la suite de multiples actes de piercing. La perforation de la langue, en plus d’entraîner certaines gênes à l’élocution à la mastication ou à la respiration, est suceptible d’induire des complications infectieuses. Le cas d’une péricoronarite chez une femme de 22 ans arborant une barre en travers de la langue a été rapporté par Scully et Chen, la guérison s’étant réalisée spontanément en un mois. Un autre cas intéressant la langue fut décrit par Perkins, Meisner et Harrison, il s’agissait d’une angine de Ludwig avec inflammation purulente de la glande sous-maxillaire au niveau du plancher buccal accompagnée d’une hypersiallorrhée, le traitement nécessita l’intubation et la ventilation mécanique du patient. Un cas de tétanos chez une femme de 27 ans qui s’était percée elle même le nombril fut décrit (26), elle guérit totalement à la suite d’une hospitalisation de 10 jours. Fiumara et Capek rapportèrent pour leur part le cas d’un abcès du sein développé à la suite d’un piercing dans la même région.
Le dernier cas recensé est une endocardite à Staphylocoque aureus qui se produisit à la suite d’un piercing nasal. La patiente dénuée initialement de toutes malformations cardiaques recouvra incomplètement à la suite de six semaines de traitement, incomplètement puisqu’une insuffisance mitrale persistait (28).
3. Recommandations et lois nationales et internationales.
Les limites et interdictions spécifiques posées par la loi française à l’égard de l’exercice de la profession de perceur ou de l’ouverture d’un salon où se pratique ce genre d’intervention sont inexistantes puisque cette activité commerciale est pour l’instant ignorée des textes de loi. Les seules mesures légales suceptible de porter préjudice aux salons aux pratiques douteuses résident dans quelques articles du code de la consommation. La consultation du code du commerce a permis d’appréhender les restrictions et interdictions dont pouvaient faire l’objet les perceurs ainsi que les salons de piercing.
Le droit de la consommation comporte plusieurs articles pouvant intéresser la pratique du piercing ainsi que l’activité commerciale qu’elle implique. Aux vues des dangers encourus, la protection du consommateur paraît être le point le plus important, cette dernière résidant sur deux points fondamentaux que sont la protection par l’information et la protection par la qualité du produit.
La protection par l’information du consommateur a pour but premier d’éclairer son consentement. L’article L 113.3 du code de la consommation prévoit que le vendeur de produit ou le prestataire de service doit par marquage, étiquetage, affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur le prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente. La publicité faite par le prestataire de service est également sous le contrôle de la loi, la publicité trompeuse étant érigée en infraction pénale par l’article L 121.1 du code de la consommation qui prévoit l’interdiction de toute publicité comportant sous quelque forme que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur.
La protection par la qualité du produit implique une obligation générale de sécurité posée par la loi du 21 juillet 1983 et reprise dans les articles L 221.1 et suivants du code de la consommation. Selon cet article L 221.1, majeur lorsque le service est synonyme de piercing, ” les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes “. De plus, la protection des victimes a été renforcée par l’article 1386.1 du code civil prévoyant que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, ce dernier étant considéré comme défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.
Le droit commercial nous enseigne que des restrictions dépendantes non plus de la qualité de la personne mais de l’activité commerciale elle même sont possibles et envisageables. Ces restrictions prennent deux formes, la première est l’interdiction complète d’activité tandis que la seconde consiste en une limitation de cette même activité.
Certaines activités commerciales peuvent être interdites soit parce qu’elles sont contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, soit dans un but de santé public (Cependant, il est à noter que ces interdictions d’activité posées par le code du commerce sont le plus souvent appliqués dans le cas des monopoles commerciaux). D’autres activités commerciales sont soumises à condition, soit lorsque l’exercice d’une profession commerciale nécessite l’obtention d’un diplôme, soit lorsqu’une déclaration auprès des autorités compétentes (préfecture ; mairie…) ou encore la possession d’une carte d’identité professionnel est exigée. Enfin, certaines activités sont soumises à autorisation, permettant ainsi un interventionnisme étatique. Ces interdictions et restrictions d’activité commerciale paraissent intéressante puisque, même s’il n’en est pas fait usage à l’heure actuelle, elles pourraient servir de piste à la réflexion sur le contrôle sanitaire des salons de piercing.
Nos voisins d’outre atlantique possèdent une relative avance sur les pays européens. En effet, quatorze états américains ont une législation spécifique quant au body piercing depuis 1994, même si elles présentent toutes une hétérogénéité de nature (30). Les canadiens ne sont pas en reste non plus en matière de piercing puisque le site internet du ministère de la santé du Canada propose depuis 1997 des lignes directrices pour la prévention et la lutte contre l’infection en matière de trois types de services, le piercing étant l’un d’eux. Cette méthodologie destinée autant aux praticiens qu’aux agents de l’hygiène ou aux responsables de la lutte anti-infectieuse permettrait, si elle appliquée convenablement, de réduire les risques de transmission des infections. Il est à noter cependant que les normes contenus dans ces lignes directrices sont présentes à titre informatif et qu’il ne s’agit en aucun cas d’une réglementation (31). Le Centre canadien de documentation sur le VIH/sida de l’association canadienne de santé publique a élaboré pour le Réseau Canadien de la Santé (RCS) des recommandations sur ” comment se faire tatouer ou percer la peau de façon sécuritaire ? “. Elles précisent les différentes étapes nécessaires et obligatoires en matière d’hygiène (32).
Les Etats-Unis possèdent une autre avance considérable sur la France puisque les professionnels du piercing se sont regroupés en association, l’Association of Professionnal Piercers (l’APP) qui diffuse par le biais d’internet tout ce qui est utile de connaître en matière de piercing, tant au niveau juridique et légal, différent selon les états, qu’au niveau hygiénique et méthodologique, allant même jusqu’à proposer un service de réponses aux questions posées sur le piercing par les internautes (33).
En France, c’est le Docteur Bernard Accoyer, chirurgien ORL et député RPR de son état, qui le premier interpelle Dominique Gillot, secrétaire d’Etat a la Santé et à l’Action sociale, par une question écrite publiée au journal officiel. Sont mis en exergue les deux inquiétudes majeures posées par le body piercing que sont le problème d’exercice illégal de la médecine et le problème de la protection de la population contre les maladies infectieuses dans le cadre de la politique de santé publique. La réponse de Madame la secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action sociale à ce sujet précise ” qu’un groupe d’experts scientifiques du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (CSHPF) a été saisi pour procéder à l’évaluation du risque infectieux lié à la pratique du piercing afin d’émettre éventuellement des recommandations pour renforcer la sécurité sanitaire dans ce domaine. Les conclusions de ces experts devraient permettre d’apprécier la nécessité ou non de réglementer au delà des dispositions du code de la consommation ” (35).
DISCUSSION
1. Interprétation des résultats obtenus.
La pratique de plus en plus populaire du body piercing s’accompagne de son cortège de complications à la sévérité variable. Si une simple inflammation au site de perforation ou une hypersensibilité est monnaie courante, certaines complications mettant en jeu le pronostic vital sont à déplorer et paraissent inquiétantes en terme de santé publique.
On peut noter une inhomogénéité dans la probabilité de développement d’une complication selon le site de perforation choisi. Staley, Fitzgibbon et Anderson souligne le fait que le perçage du cartilage auriculaire, en dépit d’une asepsie stricte augmente le risque d’infection, ceci dû à la nature avasculaire du cartilage interdisant aux défenses immunitaires l’accès à une zone potentiellement infectée. Ramage et Wilson qui relatèrent le cas d’une endocardite à Staphylocoque Aureus à la suite d’un piercing nasal dénotent le fait que la colonisation naturelle des fosses nasales par cette même bactérie accroit le risque de contracter une endocardite suite à un piercing dans cette région. Le perçage de n’importe quel épithélium muqueux est plus propice au développement d’une bactériémie ou d’une endocardite fut la conclusion de ces mêmes auteurs. Le cas du tétanos résultant d’un piercing fait conseiller par les auteurs (26) une vaccination à titre préventif contre le tétanos avant tout acte de piercing.
Si l’unique cas de VIH-1 reporté semble discutable aux vues des multiples antécédents du patient de type comportement à risque (plusieurs liaisons homosexuelles non protégées), cela ne signifie en aucun cas qu’une telle infection virale ne puisse survenir. Pugatch, Mileno et Rich qui reportèrent ce cas de VIH conclurent qu’une transmission de ce virus ainsi que n’importe quel micro-organisme pathogène était envisageable, ceci impliquant les virus ( HBV…) autant que les bactéries ( Staph Aureus, Clostridium tetani, strepto…) et les champignons.
2. Notion de consentement, principe d’autonomie et de bienfaisance.
Le contrat liant le perceur à son client est un contrat oral sous-entendant le consentement de l’adepte aux conditions qui lui ont été exposées. Signer une décharge avant l’opération comme cela se pratique dans certains salons ne signifie en aucun cas que le client possède tous les éléments d’information indispensables au bon guidage de son choix et cela ne signifie pas d’avantage que le client s’estimant lésé ne puisse avoir de recours légaux puisque ce contrat n’a aucune valeur juridique. Le contrat tacite liant les deux partis sera considéré comme éthique que dans la mesure où le consentement est libre et éclairé et que les principes d’autonomie et de bienfaisance sont respectés. Le caractère libre et éclairé du consentement apparaît comme une notion majeure puisque directement lié au principe d’autonomie, la qualité de l’information portée au futur percé est également un élément fondamental de la valeur éthique de l’opération.
Celle qualité d’information est directement dépendante de l’opérateur qui devrait non seulement exposer avec la plus grande clarté les différentes indications, mais aussi s’assurer de la capacité des sujets à comprendre cette information et ainsi leur permettre de donner un authentique consentement. Une des mesures prise par les salons officiels, ou plus exactement ceux ayant pignon sur rue est de refuser l’opération aux individus mineurs et à ceux sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants. La présence physique des parents sera exigée, une autorisation écrite parentale pour les clients mineurs étant jugée à raison insuffisante.
Le code de la consommation, puisque c’est le seul applicable à l’heure actuelle, précise par l’article L 113.3 que le consommateur se doit d’être informé sur les conditions particulières de la vente. On imagine dans ce cas précis que ces conditions regroupent toutes les informations préalables au consentement ( risques encourus , méthodes de stérilisation, méthode de perforation…). L’article L121.1 du même code interdit toutes présentations de nature à induire en erreur, ceci concernant autant la mésinformation que le mensonge par omission. Une réelle autonomie du client dépend inévitablement du caractère libre et éclairé de son consentement qui est lui même dépendant de la qualité de l’information fournie, le code de la consommation est-il applicable et suffisamment ciblé pour permettre d’obliger les perceurs à suivre ces règles contraignantes ?
Le principe de bienfaisance est au même titre que le principe d’autonomie un élément indispensable à la nature éthique de la procédure. L’article L 221.1 du code de la consommation va dans cette direction en ce sens qu’il précise que les produits et services ne doivent pas porter atteinte à la santé des personnes. Le producteur présentant un produit n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre est également sous le coup de la loi d’après l’article 1386.1 du code civil. La question légitime à se poser est comment, en considérant la nature de l’acte, les complications engendrés et l’impossibilité de garantir l’innocuité de l’opération, peut-on assurer le principe de bienfaisance à l’aide d’un article interdisant de porter atteinte à la santé, alors que le consentement même à cet acte signifie l’acceptation de ce risque ?
La faiblesse du code de la consommation appliqué à un acte de nature médicale est qu’il a été pensé pour des produits commerciaux ne soufrant aucuns risques ni défauts alors que par essence le piercing se veut ou plus exactement se peut dangereux.
Aux vues des dernières constatations, il semble primordial que le statut du perceur et du salon qu’il possède sont à repenser, le premier ne pouvant être considéré comme un commerçant et le second comme un fonds de commerce banal. En effet, les mêmes articles de loi ne pouvant régir convenablement la vente d’une baguette et la transfixion pénienne..